Réponse de Charlotte Poussin, éducatrice Montessori AMI, ayant traduit Maria Montessori et écrit des livres de référence sur le sujet, pour adultes et pour enfants.
Pourquoi laisser l’enfant acteur de ses apprentissages ? Pour de nombreuses raisons que je tente ici de regrouper afin d’apporter une réponse en trois temps présentant : les bénéfices de laisser l’enfant acteur de ses choix d’activités, les avantages de le laisser apprendre en agissant, c’est-à-dire en manipulant, et enfin, les bienfaits de lui permettre d’être acteur de ses relations sociales pour apprendre.
Je m’appuie sur un livre que je recommande vivement : Montessori, une révolution pédagogique soutenue par la science (DDB, 2018), d’Angeline Stoll Lillard, professeur de psychologie à l’université de Virginie, qui a fait un énorme travail de compilation de la recherche en éducation et en psychologie du développement, exposant le bien-fondé de l’approche Montessori.
« Être acteurs de ses apprentissages », cela veut avant tout dire choisir ce que l’on apprend.
Le libre choix de l'activité
En effet c’est un des piliers de la pédagogie Montessori : le libre choix de l’activité. Ceux qui visitent une classe Montessori pour la première fois sont souvent surpris au premier abord de voir une trentaine d’enfants faire des activités différentes, ils se demandent où est l’adulte et pourquoi tous ces enfants ne sont pas sagement installés à l’écouter ou à faire ce qu’il a demandé. Puis l’admiration suit l’étonnement : ces enfants sont si affairés, concentrés, paisibles, alors qu’ils sont apparemment libres de faire ce qu’ils veulent. Et c’est ça la clé, Maria Montessori disait que dans ses écoles « les enfants ne font pas ce qu’ils veulent mais veulent ce qu’ils font ».
Le fait de choisir ce que l’on va faire entraîne de multiples bénéfices : l’enfant est impliqué car il a suivi un élan intérieur qui lui indique ce qu’il a vraiment besoin d’apprendre au bon moment pour lui. Il choisit quelque chose qui n’est ni trop facile, ni trop difficile. Cela lui permet de progresser à son rythme, ni freiné, ni poussé.
Le sentiment de contrôle de l'environnement, synonyme de bien-être
Il a été prouvé, comme l’expose très clairement Angeline Lillard dans son livre ci-dessus cité, que le fait d’avoir le sentiment d’exercer un contrôle sur son environnement et sur ce que l’on fait augmente largement les performances, la mémorisation et l’épanouissement. Avoir le choix accroit le sentiment de bien-être, à court et à long terme. Le fait de ne pas subir les choix de quelqu’un ou d’une institution, autrement dit le fait d’être actif plutôt que d’être passif, rend heureux et créatif.
La création d'un environnement adapté, propice aux prises de décisions de l'enfant
Soulignons cependant que le libre choix dans l’approche Montessori repose sur une condition indispensable à son optimisation : la préparation d’un environnement adapté aux besoins de l’enfant selon son âge et la présence d’activités stimulantes et bien pensées, soignées et mises à sa disposition. Dans la classe Montessori, l’adulte propose du matériel pédagogique à l’enfant et lui montre comment l’utiliser. Ensuite, chaque enfant choisit quand il l’explore, avec qui (seul ou à plusieurs), combien de fois et combien de temps, où (sur une table ou au sol sur un tapis délimitant un espace de travail).
L’enfant apprend mieux ce qu’il choisit d’apprendre que ce qu’on lui impose d’apprendre.
Être acteur de ses apprentissages signifie apprendre en agissant
Acteur, étymologiquement, cela vient du latin agere qui veut dire agir. Apprendre en agissant, c’est-à-dire en menant une action à terme, en manipulant du matériel, en utilisant tout son corps dans un mouvement global et ses mains dans un mouvement précis.
Motricité et coginition
L’apprentissage montessorien s’inscrit dans l’action impliquant la motricité globale lorsque l’enfant se déplace dans la classe pour choisir sur les nombreuses étagères l’activité qu’il va sélectionner, les mouvements qu’il va faire pour apporter cette activité sur le lieu qu’il choisit pour travailler, puis les gestes précis qu’il accomplit pour faire l’activité. Celle-ci implique toujours la main, que Maria Montessori décrivait comme l’instrument du cerveau.
De nombreuses recherches, évoqués dans le travail d’Angeline Lillard, montrent que le mouvement et la cognition sont intimement entre liés.
Toutes les activités Montessori offrent à l’enfant l’opportunité de mener une action qui a un but, avec une succession logique d’étapes permettant l’exploration et par la même l’acquisition de connaissances qui sont expérimentées, vécues, ressenties corporellement, concrètement. Maria Montessori parlait de son matériel en le qualifiant d’abstractions matérialisées.
Quand se tromper devient facteur de motivation
Une particularité de ce matériel est d’être scientifiquement élaboré pour susciter le meilleur taux de concentration et d’implication des enfants. Il est étalonné pour être le plus attractif possible. Une autre de ses caractéristiques essentielles est de permettre l’auto correction. Chaque activité permet le contrôle de l’erreur, c’est-à-dire que l’enfant sait seul s’il a réussi ou non l’exercice. Il n’a pas besoin de l’intervention de l’adulte ou d’un tiers pour lui dire s’il a bon ou faux. Cela lui permet de rester acteur car il n’y a aucune attente passive de correction venant de l’extérieur. Ainsi, le retour immédiat l’incite à recommencer et à s’entraîner. Il n’a pas de peur d’échouer quand il se trompe mais ressent en revanche un regain de motivation qui le pousse à essayer de nouveau jusqu’à ce qu’il y arrive, grâce à une motivation endogène, qui vient de l’intérieur.
L'exploration, facteur de confiance en soi pour l'enfant
En plus de développer un bon rapport à l’échec et une bonne qualité de progression continue, cela permet de développer la confiance en soi, l’estime de soi et le plaisir d’apprendre. Autrement dit, être acteur de ses apprentissages et de ses tâtonnements permet d’avoir confiance en soi et en la vie. N’est-ce pas le plus beau cadeau que l’on puisse faire à un enfant ? Lui permettre de choisir, de savoir ajuster ses actions en fonction de ses observations, lui permettre d’organiser ses actes et ses réflexions, autrement dit de développer de bonnes fonctions exécutives et une excellente capacité d’adaptation.
La présence de l'adulte reste-elle nécessaire ?
Dans l’approche Montessori le libre choix et l’auto-correction n’excluent pas la nécessité d’une guidance de la part de l’adulte. De la même manière que quand on est un acteur il y a un metteur en scène ; dans la classe Montessori l’éducateur laisse l’enfant être acteur mais ce n’est bénéfique que parce qu’il y a un cadre bien précis et bien pensé en amont. Un réalisateur a eu un projet qui permet au jeu de l’acteur de se révéler. Mais c’est tout de même l’enfant qui joue et la place belle est laissée à son interprétation car l’enfant suit ses élans profonds.
Il ne s’agit pas d’une improvisation complète, car laisser l’enfant libre dans un contexte pauvre, sans stimulation, sans accompagnement, reviendrait à l’abandonner en l’enfermant dans une certaine solitude. Or l’enfant, comme tout homme, est avant tout un être social qui a besoin de ses pairs pour grandir et apprendre.
Être acteur de ses apprentissages dans la classe Montessori, c’est aussi être acteur de relations sociales
Les interactions entre enfants, gages de transmission
Les interactions entre enfants sont permanentes dans une communauté formée par des enfants d’âge mélangés. Les enfants apprennent entre eux, encore mieux lorsqu’ils sont guidés par un enfant qui a récemment appris ce qu’ils sont en train de transmettre. Les enfants choisissent les bons mots, les bons gestes. Ils viennent d’apprendre et ont de ce fait un don pour passer le relai. Dans la classe Montessori, le grand qui transmet au plus jeune est acteur d’apprentissage : il enseigne à un autre et cela engramme aussi ses connaissances.
Angeline Lillard expose clairement qu’il a été prouvé que l’on retient beaucoup mieux et longtemps ce que l’on a transmis à un pair. Le travail de Lev Vygotski, pédagogue et psychologue russe du XXème, décrit la zone proximale de développement (ZPD) comme l’espace entre les exercices que l'enfant peut réussir et ceux qu'il peut réaliser avec l'aide de quelqu’un qui sait déjà le faire. Guidés et aidés lors d’une collaboration, les enfants apprennent encore mieux, car ils interagissent, c’est-à-dire qu’ils agissent ensemble. Les plus jeunes sont stimulés par les plus grands, entraînés dans un mouvement et les plus grands consolident leurs connaissances. Tout le monde y gagne dans cette répartition des rôles. Laisser les enfants libres d’interagir en situation d’apprentissage est bien plus bénéfique pour eux que de leur demander d’écouter passivement une leçon.
Les relations spontanées entre enfants, propices à l'apprentissage scolaire
Les recherches en neurosciences, exposées dans le livre d’Angeline Lillard, prouvent de plus que cette interaction entre enfants est d’autant plus bénéfique lorsque les enfants choisissent les pairs avec lesquels ils travaillent, comme c’est le cas dans la classe Montessori. Les relations spontanées qui se développent dans le contexte montessorien sont propices aux apprentissages scolaires et développent de plus, ce qui est encore plus important à mon avis, des qualités prosociales, des comportements solidaires et altruistes et des éléments indispensables au bon fonctionnement d’une société apaisée : le sentiment d’appartenance à une communauté, le sens de la responsabilité et l’envie de faire au mieux pour soi et pour les autres.
En effet, l’environnement Montessori offre des règles sociales et des contraintes, mais une atmosphère qui ne surmultiplie pas les frustrations car les enfants ont le sentiment de choisir leurs activités, leurs apprentissages et les pairs avec lesquels ils s’exercent. Comme ils ne sont pas en permanence contraints, ils développent une grande capacité de choix, de réflexion, l’habitude de faire des compromis, d’accepter des frustrations, tout cela fait d’eux des êtres sereins, plus à même de se connaître, de s’accepter et d’accepter les autres, de se donner des défis en acceptant les défaites, étapes vers le progrès. Connaître et accepter ses limites, celles du groupe, agir en conscience de cela, voilà qui augure une éducation propice à la paix intérieure et à la paix entre les enfants, adultes de demain.
Ce que l’on cherche à cultiver dans l’approche Montessori, c’est avant tout la motivation, l’indépendance, l’autonomie, le désir d’apprendre qui s’auto alimente lorsqu’on laisse à l’enfant le rôle principal d’acteur de ses apprentissages, tout en l’accompagnant de près, avec discrétion et respect.
Voilà pourquoi laisser l’enfant acteur de ses apprentissages me paraît si essentiel !
Des astuces pour laisser l’enfant être acteur de ses apprentissages :
- Lui préparer un environnement sécuritaire et riche d’opportunités d’actions qu’il puisse mener à bien par lui-même, en les choisissant.
- Respecter ses choix d’activités, même si celles-ci nous semblent parfois déjà vues, sans intérêt ou au contraire trop difficiles, car s’il les a choisies, c’est qu’il sent qu’elles lui apportent quelque chose : un motif de concentration, une occasion de réconfort, un nouveau challenge. Même inconsciemment, l’enfant sait intérieurement pourquoi il choisit une activité.
- Résister au réflexe que nous avons de vouloir trop aider ou corriger l’enfant et lui proposer des occasions de s’auto perfectionner.
- Accepter de ne pas être indispensable aux enfants et admettre qu’ils apprennent souvent très bien entre eux. Se contenter de les observer sans trop les diriger. Soutenir leur progrès de notre regard bienveillant qui les porte.
- Avant d’intervenir, prendre l’habitude de prendre un temps d’observation en se posant la question : l’aide que je m’apprête à fournir est-elle vraiment utile à cet enfant ? En se souvenant de cette phrase que disait Maria Montessori « Toute aide inutile est une entrave au développement »
Charlotte Poussin
Site web : montessoricharlottepoussin.com
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